Association des anciens combattants du canton de Gavray-Section de Gavray

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Le récit oublié d'un prisonnier allemand en France

 


Un journal de captivité est à l'origine du livre "Le cahier de Mulsanne". A travers l'histoire de Lutz dans le camp sarthois, on découvre la vie des prisonniers allemands en France après la Seconde Guerre.

L'histoire commence il y a trois ans, à Nova  Friburgo, au Brésil. Dora 96 ans, reçoit sa fille, Barbara, et son gendre, Jean-Jacques Fontaine, alors en pleine préparation d'un documentaire sur l'émigration des Suisses à Nova Friburgo en 1818.

"Au détour d'une conversation, ma belle-mère nous dit : "il y a deux ou trois classeurs dans la bibliothèque de papa qui raconte sa guerre"."

Vraiment ? Lui qui n'en parlait jamais. A personne. Pas même à son épouse à qui il avait simplement dit, à son retour de captivité, qu'il "aimait la France".


Le journal de captivité oublié


Le journaliste suisse se plonge aussitôt dans la lecture de ces documents qui dormaient là depuis des années.

C'est alors qu'il découvre un petit cahier dans lequel "Lutz" raconte sa captivité en France. A Andernos (Gironde), d'abord de juillet 1945 à mars 1946, puis de Mulsanne, près du Mans, dans la Sarthe, d'où il ne sera libéré qu'en juin 1947.


"En lisant ce cahier, je me suis rendu compte qu'il y avait des tas d'informations intéressantes, non seulement sur sa vie de prisonnier, mais, plus globalement, sur la question des prisonniers allemands en France après la Seconde Guerre Mondiale. Prisonniers qui ont constitué une main d'œuvre très importante pour la reconstruction du pays."


Cette découverte va entraîner Jean-Jacques Fontaine dans de longues recherches qui viennent de prendre la forme d'un livre : Le cahier de Mulsanne, prisonniers de guerre allemans en France 1945-1947, paru chez Ysec.


700 000 prisonniers allemands en France


Quand commence l'enquête du journaliste, Franz Ludwig Heppo, que tout le monde appelait "Lutz", est décédé depuis treize ans déjà. Il lui faut donc d'abord se replonger dans l'histoire de son beau-père.

Originaire de Sigmaringen, en Allemagne, Lutz a 21 ans quand il est enrôlé dans la Wehrmacht. Très croyant, il avait fréquenté les Jeunesses catholiques, alors hostiles au nazisme.

Mais il ne fait pas de vague, suit le mouvement et enfile l'uniforme vert-de-gris "en gardant toujours ses distances avec les nazis qu'il n'aime pas et son regard critique".

Plus tard, après la guerre, un soldat ayant servi sous ses ordres confirmera qu'il a "souvent manifesté, à ses risques et périls, ses convictions antifascistes."


Arrêté à la Libération, le jeune lieutenant fait parti des 700 000 prisonniers de guerre allemands (PGA) en France. 

En mars 1946, Lutz est transféré au camp de Mulsanne, près du Mans. "A côté de ça, Andernos était un paradis", écrit-il à son arrivée.


Construit par les Anglais au tout début de la guerre, le camp -à cheval sur le circuit des 24 Heures du Mans- avait été réaménagé par les Allemands en 1940.. S'y sont succédés des prisonniers de guerre, des Tzigannes et des juifs de la Sartheen transit vers Drancy puis Auschwitz.

A la Libération, le sinistre "Frontstalag 203" devient le "dépôt 401" et bientôt "le plus grand camp d'officiers allemands de France".


"Ce camp nous fait mauvaise impression"


Les premiers rapports sur le camp de Mulsanne ne sont pas franchement bons. Pour tout dire, il fait "assez mauvaise impression" à ses visiteurs.

"Les toits des tentes sont brûlés, aussi, en cas de pluie, l'eau s'infiltre t-elle à l'intérieur", écrit le représentant de la Croix-Rouge, Jean Courvoisier en mars 1946.

Les généraux, comme les autres officiers du reste, mangent dans de vieilles boîtes de conserve fortement rouillées ; ils profitent de notre passage pour nous demander s'ils se trouvaient dans un camp de représailles."


Fidèle à son tempérament, Lutz accepte son sort tout en rêvant au jour de sa libération. Il ne se plaint pas. Il sait que d'autres ont souffert, avant lui, dans cet ancien "Fronstalag" et ce qu'a été la barbarie nazie.

L'inhumanité des camps. Les millions de morts. "il ne se vantera jamais ni de sa guerre ni de sa captivité", complète Jean-Jacques Fontaine.

A Mulsanne, la vie est rude pour les PGA qui seront jusqu'à près de 9 000. L'hiver surtout. Les grands abris de tôle ondulée sont impossibles à chauffer. "Il y a du givre et de la glace sur les parois."

Les hommes ont froid et faim. La dysenterie fait des ravages.

"On ne peut pas dire qu'il y ait eu d'acharnement contre les prisonniers allemands, poursuit l'auteur. Il faut se rappeler que 1945-1946 a été une période de famine pour tout le monde en France. Mais les officiers subissaient, peut-être plus que d'autres, le manque de nourriture car les Conventions de Genève leur interdisaient de travailler. Or, on privilégiait les prisonniers qui se rendaient aux champs ou à la mine."


La Croix-Rouge veille au grain



Cependant, la situation s'améliore au fil des mois dans le camp.
"Un semblant de petite ville apparaît derrière les barbelés", écrit Jean-Jacques Fontaine. "Infirmerie, hôpital, église, douches collectives, cantines, potagers pour améliorer l'ordinaire, stade, bibliothèque, université des détenus, amphithéâtre, orchestre, prison ..."

Des améliorations auxquelles la Croix-Rouge n'est pas étrangère ...

"La Suisse a joué un rôle important dans cette affaire", reprend le journaliste. Car le Comité International de la Croix-Rouge, à l'époque, ne pouvait engager que des délégués suisses.

A Mulsanne, comme dans les autres camps, les délégués suisses passaient régulièrement constater la situation et dénoncer les dysfonctionnements. La plupart du temps, ils étaient écoutés et entendus."


Le camp ferme définitivement ses portes en 1947 et est démantelé dans la foulée.


Deux ans plus tard, les pilotes des 24Heures du Mans reprenaient  possession de la piste et le camp disparaissait, presque totalement du paysage.



(Source : Ouest-France du 5-6 décembre 2020 - Olivier Renault












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