Association des anciens combattants du canton de Gavray-Section de Gavray

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La résistance normande





Le lieutenant nazi Busch de la FNK 25 est pâle de colère. Dans ses yeux passent des lueurs de fureur meurtrière.
Il est évident que, s'il le pouvait, il abattrait illico l'effronté et insolent Français qui lui tient tête depuis 1/4 d'heure. Mais, bien que figé dans une attitude qui se veut déférente, René Crouzeau ne semble guère impressionné par l'ire de l'Allemand.
Si on le vient de le sortir de sa cellule pour lui enjoindre de se remettre au travail, c'est qu'on a besoin de lui d'une façon pressante, donc Busch peut bien tempêter, menacer, celui qui mène le jeu et détient les atouts, c'est bien lui, Crouzeau, inspecteur des services techniques à la direction des PTT de Saint-Lô !
L'officier des transmissions martèle ses mots pour leur donner plus de force, et faire valoir son autorité. L'autorité de la puissance occupante !



"- Vous devez avoir terminé l'installation de cette ligne dans trois semaines au plus."
"- Impossible, je ne dispose pas assez d'hommes, vous les avez presque tous requis pour le STO !"
"- Je vais faire venir des équipes d'autres départements."
"- Et le fil de cuivre ?"

Pour le coup, l'autre manque de s'étrangler ! Ce Franzouze a un fantastique culot. Il en bégaie d'indignation :
"- Co ... Comment ! Vous n'allez pas me dire que sur 75 000 kg de fil que je vous ai octroyés le mois dernier, vous n'en avez plus ?"
"- Je regrette, mais le magasin est vide !"

Alors là, Busch voit rouge ! Il saisit avec violence l'épais registre placé sur le coin de son bureau, et il se met à énumérer la longue liste de matériel qu'il a fourni depuis le début de l'année : haubans, consoles, fil de cuivre, gaines, câbles, poteaux, etc ...


René Crouzeau
Imperturbable, Crouzeau laisse passer l'orage, riant sous cape, car il sait bien où est passé ce stock :
- éparpillé, disséminé un peu partout dans différents dépôts, ce matériel a été soustrait par ses soins.
Il en a camouflé dans les greniers des bureaux de Bérigny, de St-Clair-sur-Elle, de Condé-sur-Vire, de Cerisy-la-Forêt, de St-Jean-de-Daye, de Tessy-sur-Vire, etc ...

C'est d'ailleurs à la suite de ces disparitions que René Crouzeau a été arrêté et incarcéré à la prison de St-Lô !


Seulement voilà, bien que les Allemands montrent à son égard plus que des soupçons, il a été assez habile pour ne pas leur apporter de preuves de son activité contre eux. En outre, comme ils ont absolument besoin de lui, ils ont décidé de le libérer. Et ceci explique la rage de Busch, obligé d'en passer par ce "mauvais Français" !
Mauvais Français pour l'occupant, aucun doute à ce sujet, et on le comprend !


Le 14 juin 1944, le maquis des PTT au Village-du-Bois dispose d'une sorte de poste de guet. Il s'agit d'une maisonnette occupée par une jeune femme, Mme Leblond, et son fils, un garçonnet de 11 ans.
Cette petite bâtisse se trouve à l'entrée du chemin menant au refuge des maquisards ; des armes y sont entreposées en réserve.

Vers 6h du matin, Mme Leblond aperçoit une voiture allemande arrêtée à proximité. Elle épie ce véhicule, dont les occupants semblent plongés dans la lecture d'une carte routière.
Discrètement, Mme Leblond file prévenir ses amis. Lorsqu'elle revient, la voiture a disparu.

Mais la nouvelle a mis les francs-tireurs en alerte ; ils détachent donc 2 hommes en éclaireurs. Ne voyant plus rien, ceux-ci rentrent et rassurent leurs camarades ; sans doute des égarés qui repéraient leur chemin, perdus dans le bocage.
C'est là une erreur fatale, car la voiture est en fait une reconnaissance !
Les Allemands, excédés par les opérations menés contre eux, sont décidés à débusquer ces insaisissables terroristes.
Ils y sont d'autant plus déterminés que les renforts qui arrivent sur le front de Normandie sont les premiers éléments de la trop tristement célèbre division "Das Reich", harcelés depuis 15 jours par les partisans.
Le périple que la division "Das Reich" a accompli pour monter de Montauban à Avranches est jalonné d'une multitude d'exactions, de pillages et d'assassinats. La trace sanglante laissée par la "Das Reich" ne s'effacera jamais. Habitués à la lutte contre les francs-tireurs, les SS ne vont pas laisser la moindre chance aux maquisards des PTT.


Vaquant à ses occupations, Mme Leblond est soudainement entourée par une vingtaine de soldats. Elle tente une manœuvre désespérée :
"- Va chercher le chat !" ordonne t-elle à son fils, et le petit Gilles, qui a bien assimilé le code prévu, part dans l'intention de prévenir les maquisards.
Trop tard ! Tout le secteur est bouclé, et le gosse est refoulé.
Pendant ce temps, les hommes de garde du maquis surveillent le chemin, unique accès à leur refuge.
C'est compter sans l'habilité des SS, rompus à ce genre d'exercice ; franchissant talus, champs et bosquets, rampant dans les espaces découverts, ils parviennent silencieusement, après une large manœuvre d'encerclement, sur les arrières de la ferme.
Et brusquement, vers 10h du matin, les SS ouvrent le feu sur les sentinelles, les prenant à revers.
Alfred Guy s'écroule, gravement blessé.
Marcel Richer, environné de balles, n'est pas touché par miracle et il décroche.
Raymond Robin est cerné et désarmé avant d'avoir eu le temps de se rendre compte.
Crouzeau riposte et abat deux des assaillants.

La lutte étant trop inégale, les maquisards survivants sont capturés.
Dans la soirée, après de longues heures d'interrogatoires, ils sont amenés à la ferme de Mme Leblond.
A nouveau, ils sont "questionnés", vainement.


Le petit Gilles est "cuisiné", on tente de lui faire dire où se cachent les autres "terroristes" :
"- Si tu ne parles pas, je ferai fusiller tout le monde, si tu nous dis où sont les partisans, ta maman ne mourra pas et tu pourras repartir avec elle".


Mais l'enfant ne sait rien de plus et, de guerre lasse, on enferme les prisonniers dans une étable sévèrement gardée.
Ils sont là, dix hommes, une femme et un enfant, bouclés dans cette prison de fortune. De grosses larmes coulent sur les joues de Gilles qui étreint désespérément sa mère.
Bouleversés par ce spectacle insoutenable, les maquisards, qui connaissent le sort qui leur est réservé, tentent de donner le change.
Ils parlent d'avenir, de jours heureux où la paix ramènera le bonheur et la joie de vivre. Bercé par ces paroles apaisantes, l'enfant s'endort, et les hommes se réfugient dans leurs pensées intimes, attendant l'aube qu'ils savent être la dernière pour eux.

A quoi songent-ils, au seuil de leur mort, ces rudes postiers ?

Vers 3h30 du matin, la porte est brutalement déverrouillée. Dans la lueur naissante du jour, les silhouettes casquées apparaissent. Un à un, les prisonniers sont sortis, on leur lie les mains dans le dos.
Quand Mme Leblond se présente, tenant son fils par la main, l'officier qui a questionné l'enfant la veille aboie un ordre ; les crosses s'interposent et ils sont refoulés à l'intérieur.



Jean Sanson harangue ses camarades :
"- Les copains ! nous allons faire voir comment meurent les patriotes français."
A ce moment, Alfred Guy est amené sur une civière, à demi inconscient. On les pousse vers un fossé au bout de l'herbage ; ils y sont alignés, le blessé compris.
Un ordre bref : les mitraillettes crépitent, les corps basculent ; c'est fini.

Hâtivement, les SS rabattent quelques centimètres de terre sur les malheureux :
- Jacques Albertini
- Etienne Bobo
- René Crouzeau
- Alfred Guy
-  Ernest Hamel
- Jean Lecouturier
-  Auguste Lerable
-  Françis Martin
-  André Patin
-  Raymond Robin
-  Jean Sanson,
viennent de payer de leur vie leur attachement à la liberté et à leur patrie.



Mme Leblond, après de longs interrogatoires, fut internée et libérée par l'avance des Alliés.

Ainsi s'est terminée l'action du groupe Résistance PTT de Saint-Lô.

Un monument, perpétuant le souvenir des martyrs, est érigé sur la commune de Beaucoudray, à l'endroit même où ils sont tombés.
Chaque année, fidèlement, leurs camarades et tous ceux qui n'oublient pas le sens de leur combat viennent à la mi-juin se receuillir sur ce haut lieu de la Résistance Normande, au cours d'une cérémonie où renaît brièvement cette fraternité qui fut la source de leur héroïque attitude.


(Source : "La résistance normande face à la gestapo" de Raymond Ruffin)




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