La chasse aux espions à la veille de la "Grande Guerre"

A la veille de la Grande Guerre, plus de 6 millions de cubes sont vendus chaque mois en France et 65 millions de litres de lait sont distribués dans les points de vente parisiens !
Pourtant, dès 1913, l'Action Française lance une campagne contre la prétendue "société allemande Maggi-Kub" accusée d'être un nid d'espions.
Le 1er août 1914, à la veille de la mobilisation, l'Etat amplifie la rumeur avec l'aide des services secrets.
Il accuse Maggi et Kub d'utiliser leurs affiches et plaques émaillées publicitaires pour baliser le parcours des troupes allemandes, en leur signalant des objectifs stratégiques.
La population accuse l'Allemagne d'empoisonner les Français avec les bouillons Kub et le lait, et bascule dans l'hystérie.
Une foule en colère
Le 3 août 1914, vers 3h de l'après-midi, une vieille dame vêtue de noir, coiffée d'une capote ornée de roses, et dont les larges brides formaient un noeud sous le menton, s'approcha du laboratoire de la Société Maggi, rue Rochechourt à Paris.
Levant un parapluie solidement emmanché, elle frappa de toutes ses forces une grande glace de la vitrine qui s'écroula. Le fracas des vitres brisées accrut sa surexcitation, et elle se mit à cogner à tour de bras en criant :
"A bas les Allemands !"
Des badauds s'attroupèrent ; les voisins sortirent des immeubles.
Tout en continuant son oeuvre de destruction, la vieille dame expliquait :
"les directeurs de la Société Maggi sont des espions allemands ! Hier, la police a surpris l'un d'eux à la gare du Nord au moment où il allait prendre le train pour Berlin en emportant une caisse contenant 8 millions en or."
Les assistants les plus proches, qui reçurent cette effroyable révélation, la transmirent aux autres en doublant le chiffre. Les 8 millions, rapidement capitalisés par des cerveaux échauffés, s'élevèrent à 40 millions...
Une douzaine de jeunes gens se mirent en quête de projectiles. Un tas de pavés et de pierres oublié sur le trottoir par des terrassiers leur en fournit en abondance.
Les curieux s'en mêlèrent. En quelques instants, toutes les glaces de la vitrine furent fracassées. Les bocaux, flacons, éprouvettes et autres accessoires de laboratoire rangés à l'intérieur devinrent les buts d'un jeu de massacre.
Par une des brèches ouvertes, un jeune homme pénétra dans le bureau du laboratoire et jeta au-dehors fauteuils, chaises et tables. On en fit un tas au milieu de la petite place formée par le croisement des rues Rochechouart et Condorcet.
Les feuilles des livres de comptabilité de la maison servirent d'allume-feu.
Autour du brasier, hommes, femmes, enfants dansèrent une ronde en chantant la Marseillaise.
Dans la soirée et pendant la nuit, toutes les boutiques portant l'enseigne du "Bon lait Maggi" subirent le sort du laboratoire.
La propagande au service de la guerre
Mobiliser les hommes ne suffit pas. Il faut mobiliser les nerfs et les esprits, entraîner dans la guerre l'ensemble de l'opinion publique pour laquelle la diabolisation de l'Allemand ne tombe pas forcément sous le sens.
Seuls les habitants de Paris, du nord et de l'est de la France ont connu les rigueurs de la guerre avec la Prusse en 1870-1871.
Le contentieux qui, depuis 1871, oppose la France à l'Allemagne autour de l'annexion de l'Alsace et de la Lorraine, fait l'objet d'une propagande revancharde soutenue pendant la Belle Epoque.
Elle rebondit de plus belle avec la déclaration de guerre.
Tout ce qui évoque l'Allemagne sent le soufre : la rue de Berlin devient la rue de Liège, l'avenue d'Allemagne, l'avenue Jean-Jaurès, le café viennois se fait liégeois, les berlingots deviennent des parigots, l'eau de Cologne, l'eau de Pologne... Et les bergers allemands deviennent des bergers belges ...
(Source : "Les Poilus" de J.P Guéno)
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